Tau franciscain  Clarisses de Senlis

Amies

Nous sommes le 11 Novembre 1215,                
le pape Innocent III ouvre le concile par un discours au retentissement considérable.
Voici comment Fr Damien Vorreux (dans Un symbole franciscain, le TAU, 1977 page 16) nous le dit :

Les chiffres ont peut-être aussi leur éloquence : il y eut, à Latran IV, un total de 2 212 Pères Conciliaires7, dont 412 évêques, 800 abbés et prieurs, le reste étant composé de diverses personnalités : ambassadeurs, théologiens, représentants de chapitres de chanoines, ou encore chefs de mouvements spirituels. Au nombre de ces derniers on peut compter François.

Et voici où intervient le Tau. Le pape Innocent III ouvrit le Concile, le 11 novembre 1215, par un sermon d'une ampleur et d'une envolée admirables, qui eut aussitôt un grand retentissement8. Il prend pour thème la parole du Christ : « J'ai désiré d'un grand désir manger cette Pâque avec vous » (Lc 22,15). Puis il rappelle que Pâque signifie Passage, et il souhaite que le Concile, nouvelle Pâque, fournisse l'occasion d'un triple passage corporel, spirituel et éternel : - le passage corporel serait le départ d'une armée pour la libération de Jérusalem ; - le passage spirituel devait -être le passage d'un état à un autre, c'est-à-dire une conversion, une réforme de l'Eglise universelle ; - quant à la Pâque éternelle, passage de la vie à la vraie Vie, c'était par les sacrements, par l'Eucharistie surtout, qu'elle devait s'opérer.

La deuxième partie (le passage spirituel) est un commentaire énergique du chapitre 9 d'Ezéchiel ; le pape reprend à son compte ces paroles de Dieu à son prophète : « Passe par le milieu de la ville, et marque d'un Tau le front des hommes qui soupirent et qui gémissent à cause de toutes les abominations qui s'y commettent ! » Et il ajoute : « Tau est la dernière lettre de l'alphabet hébreu, et sa forme dessine une croix, telle du moins que se présentait la croix avant la pose de l'écriteau de Pilate. Tau est le signe que l'on porte au front si l'on manifeste dans toute sa conduite le rayonnement de la croix ; si, comme dit l'Apôtre, on crucifie sa chair avec les vices et les péchés ; si l'on affirme : Je ne veux mettre ma gloire en rien d'autre que dans la croix de Notre-Seigneur Jésus-Christ, par qui le monde a été crucifié pour moi, et moi pour le monde... Soyez donc les champions du Tau et de la Croix ! »
Tel est l'appel qu'entendit François, appel à une mobilisation générale pour une croisade de conversion et de pénitence.

L'image du Tau et la référence à Ezéchiel étaient d'ailleurs familières au pape Innocent III (et donc à ses contemporains). Dans une lettre au Patriarche d'Arménie, par exemple, il lui annonce qu'une armée de chevaliers va s'embarquer à Venise, et il lui décrit ces porteurs de croix (les « Croisés ») comme marqués au front du Tau d'Ezéchiel 9. Ailleurs, dans son Traité sur le Sacrement de l'autel10), il parle de la lettre T, qui est la première du Canon de la Messe (celui-ci commence par : Te igitur) ; il rappelle l'importance, même du seul point de vue graphique, de cette initiale qui, par la suite, envahira toute la surface de la page de gauche dans le missel, et il dit qu'il y a là une intention providentielle, non pas une intention humaine : en effet, cette lettre représentant la croix « n'est autre que le Tau de pénitence et de salut dont le Seigneur a confié le ministère à Ezéchiel. »

Quelle fut la réaction de François ? Il reçut comme un message personnellement adressé à lui le discours d'Innocent III. Le pape avait dit : « Miséricorde sera faite à ceux qui porteront le Tau, marque d'une vie pénitente et renouvelée dans le Christ ». François voulut donc se signer lui-même du Tau, et ses frères avec lui ; le Tau deviendra le signe de la vocation de l'Ordre.

7. Wadding, Annales, 1215, XXXV. Et cf. Hefele-Leclercq, Histoire des Conciles, V, 2, 1316-18.
8. Texte latin dans Migne, PL 217, 673-80.
9. Lettre 46, PL 214, 1012.
10. III, 2 ; PL 217, 840.