Claire ! Son nom résonne familièrement et attire comme une douce lumière qui éclaire et réchauffe au cœur de la nuit mais sa vie est peu connue. «Petite plante» cachée à l'abri du grand arbre franciscain, elle est souvent considérée comme la réplique discrète et effacée de St François d'Assise. Pourtant, si sa vie recluse pendant 42 ans dans le petit Couvent de St Damien près d'Assise ne présente pas des faits extraordinaires, elle est un éclairant témoignage des merveilles de la grâce dans une âme réceptive et elle se trouve à l'origine d'une des principales familles de moniales.
En apparence, rien ne distingue des autres cette belle jeune fille de la noblesse d'Assise. Sa famille s'apprête à offrir une haute alliance qui ferait d'elle une châtelaine comblée. Pourtant, dans le recueillement de son cœur, elle attend autre chose …
Or, brusquement la petite ville est secouée par la conversion spectaculaire de François Bernardone, fils du riche marchand drapier de la cité. On se moque et on se scandalise de ce bourgeois, naguère roi de la jeunesse dorée, qui mendie des pierres pour réparer une vieille église abandonnée et quémande une maigre pitance.
Cependant, bientôt quelques hommes mûrs et respectés le rejoignent et, parmi eux le noble Rufin, cousin de Claire. En 1209, les premiers frères reçoivent l'approbation du Pape et deux ans plus tard, François est invité à prêcher le Carême à la Cathédrale. Claire est là qui écoute …
Dans son cœur en éveil, l'appel à une vie radicalement évangélique, simple et pauvre, trouve un écho immédiat. Elle veut revoir François, lui parler … Elle le prend pour «Guide après Dieu» et brûle du désir de marcher elle aussi sur les traces du «Christ Pauvre et Crucifié».
Elle a 18 ans quand, le soir des Rameaux 1212, elle quitte la demeure familiale et, accompagnée d'une amie, se hâte vers la petite église Ste Marie de la Portioncule, berceau de l'ordre naissant. Les Frères l'attendent en prière autour de l'autel ; elle abandonne entre leurs mains, bijoux et ornements, revêt une pauvre bure et promet solennellement obéissance à François.
Comment Claire va-t-elle réaliser concrètement cette Consécration ? L'époque est féconde en initiatives religieuses et l'Église offre diverses possibilités.
En attendant une inspiration plus précise du Seigneur, François conduit Claire chez les Bénédictines de St Paul de Bastia toutes proches. Mais comment concilier le cadre opulent et majestueux d'une abbaye avec sa soif de pauvreté et de minorité ? En fondant des Communautés de Frères et de Sœurs adonnées à des œuvres de charité, au service d'hospices ou Maison-Dieu ?
François et ses frères s'y rendaient pour soigner les lépreux. Mais la vocation de Claire est essentiellement contemplative. Elle peut être recluse. Mais comment vivrait-elle la dimension fraternelle du charisme franciscain ?
Elle peut choisir un béguinage ou un de ces nombreux groupes évangéliques, aux aspects les plus divers où de pieuses femmes se retirent pour prier Dieu dans le silence.
Certains sont d'authentiques mystiques qui ouvrent la voie aux Maîtres Rhénans du XIV° siècle.
Après un séjour de quelques semaines à St Paul de Bastia, François mène Claire dans une de ces communautés : chez les recluses de St-Ange-de-Panzo. Là non plus elle ne trouve pas le dépouillement radical dont François lui donnait l'exemple.
Une nouvelle forme de vie reste à créer, à la fois contemplative et franciscaine. François installe Claire et sa sœur Agnès qui l'avait rejointe, auprès de la petite église de St Damien, qu'il avait restaurée de ses mains, là où il avait mené ses premiers combats spirituels, là où le Crucifié avait parlé à son cœur, là ou justement, animé de la ferveur de l'Esprit Saint, il avait un jour prophétisé : «Venez, aidez-moi à travailler pour le monastère de St Damien, parce qu'il y viendra ici des Religieuses dont la vie sainte et la renommée stimuleront les hommes à glorifier notre Père des Cieux dans toute sa Sainte Eglise».
(Testament de Claire)
Très vite, le «Seigneur lui envoya des sœurs afin que toutes ensembles, elles soient fidèles à l'aimer et à l'adorer» (bulle de canonisation). La charge d'abbesse loin de créer une distance entre Claire et ses sœurs comme cela peut arriver dans de grandes communautés, la rapproche au contraire de chacune d'elles.
«Que les sœurs puissent parler et agir avec elle comme des maîtresses avec leur servante ; car il doit en être ainsi : l'Abbesse est la servante de ses Sœurs», (Règle 10).
« Qu'elle s'applique à être la première par ses vertus et par une sainte conduite plus que par sa charge, afin que les sœurs lui obéissent par amour plus que par crainte» (Règle 4).
Cette attitude ne correspond pas du tout à une démission de son autorité. Claire se sait en tant qu'Abbesse chargée de la croissance de chacune de ses Sœurs dans le Christ : «Dans son monastère, il n'y avait pas de place pour la tiédeur et la paresse, dès qu'il s'agissait de la prière et du service de Dieu, une sévère admonition savait aiguillonner la nonchalance» (Vie, 20). Mais elle agit toujours en dialogue avec ses Sœurs : chaque semaine, l'Assemblée communautaire traite de «tout ce qui regarde le bien et l'utilité du Monastère» (Règle 4).
Comme François elle prescrit : «Les Sœurs ne doivent pas s'approprier ni maison, ni lieu que ce soit, mais comme pèlerines et étrangères en ce monde, servant le Seigneur dans la pauvreté et dans l'humilité, qu'elles envoient mendier pour elles avec confiance».
Ce dépouillement radical paraît tellement impraticable que les Sœurs durent se défendre à plusieurs reprises contre les pressions de ceux qui, même parmi les hauts dignitaires de l'Église, veulent leur faire accepter quelque bien ou rente.
Claire se fait confirmer par deux papes successifs son droit de ne rien posséder ; c'est l'étonnant et peu commun privilège de très haute pauvreté obtenu à force de ténacité en 1216, puis en 1228.
Cette pauvreté très concrète atteint tous les détails de la vie quotidienne : nourriture quêtée, vêtements grossiers, froid (pieds nus), faim même (plusieurs fois le pain manque), travail manuel et partage entre les Sœurs de tous les travaux domestiques (les Sœurs converses n'existaient pas à St-Damien), etc. Elle est plus encore un esprit : esprit d'abandon au Père des Cieux et à sa Providence, de dépendance envers Dieu et les hommes, de simplicité, d'humilité de refus de paraître et de dominer, de fraternité envers les plus pauvres …
Ce style de vie, en communauté pauvre et fraternelle qui trois siècles et demi plus tard allait inspirer sainte Thérèse d'Avila lors de sa réforme, est directement emprunté à la vie des Frères mineurs et la plupart des passages de la Règle qui y ont trait se trouvent déjà dans celle des Frères. Claire en les reprenant, a voulu souligner la similitude d'inspiration.
François disait : «C'est le même Esprit qui a poussé les Frères et les Pauvres Dames à quitter le monde» (Celano : 2ème vie de St François § 204).
Le projet fondamental est en effet identique : suivre le Christ en vivant la perfection du Saint Evangile, «simplement et sans glose».
Claire l'a reçu de François et celui-ci se considérait comme responsable de sa vocation et se montrait plein de sollicitude envers elle.
Tous deux étaient en effet appelés à « revivre le Christ ». Mais l'Homme-Dieu restait constamment en communion avec le Père tandis qu'Il prêchait aux foules.
François et Claire ont intensément ressenti ce double appel de l'amour, à la fois contemplatif et actif, mais il leur était impossible de le vivre pleinement et simultanément.
Chacun y a répondu avec les nuances propres à sa personnalité.
François faisait de longs séjours en ermitage, puis, poussé par l'Esprit, allait porter la Bonne Nouvelle sur les routes.
Claire brûlait du désir d'aller témoigner de sa foi jusqu'au martyr chez les infidèles.
Mais elle découvrit qu'elle servait encore plus l'Église, Corps mystique du Christ au fond de son cloître, en étant pur accueil de l'Amour, réservoir de grâce pour le monde.
Claire est comme Marie, selon la belle expression du Cardinal Journet, placée au cœur de l'Église, la soutenant par le silence de sa contemplation et de son Amour.
Là réside la complémentarité des deux Ordres et le rôle des Pauvres Dames dans l'Église.